Message de Yohann Deschrijver à Philippe Lacadée,
Cher Philippe,
Je suis surpris qu’il ne me soit pas plus facile, finalement, d’en écrire davantage sur les raisons de mon enthousiasme au sortir de votre conférence. Je ne dirai pas qu’il me faut me mettre au
travail, mais au moins que les quelques fils que j’ai à tirer de ce que vous avez pu tisser samedi sont bien noués.
D’abord, tout simplement, j’ai trouvé le sujet Walser passionnant. Le destin singulier de cet homme est extraordinaire et si j’ai aimé le découvrir dans votre livre, vous entendre le raconter
dans ses détours singuliers était captivant. Il y eut aussi ce hasard amenant cette participante à doubler en allemand, comme en canon, ces mots de Walser que vous avez joliment fait résonner.
Suivre votre exposé dans les murmures de la plume et du crayon de Walser, et ponctué par le point tracé par son corps dans la neige, était une promenade, non pas ironique, mais bel et bien
stylisée et donc, oserais-je dire, me permettant de mieux saisir l’objet walserien.
Aussi, suis-je très sensible à cette empreinte « littéraire » de la psychanalyse, esquissée samedi, et que j’apprécie d’ailleurs particulièrement dans vos deux derniers ouvrages. En ayant
redémontré brillamment que la psychanalyse peut s’enseigner de et par la littérature, vous m’avez rappelé cet extrait exceptionnel de Süskind que vous connaissez peut-être déjà : « On sait bien
que les poètes n’écrivent pas sur ce dont ils ont la connaissance, mais sur ce dont ils n’ont pas le fin mot ; et ce pour des raisons qu'ils ne connaissent pas davantage, mais qu'ils veulent à
tout prix connaître très précisément. Cette imparfaite connaissance, ce sentiment de foncière étrangeté, voilà l’impulsion première qui leur fait prendre leur burin, leur plume ou leur lyre.(…)
S'il en allait autrement, il n'y aurait pas de poèmes, de romans, de pièces de théâtre, etc., mais uniquement des communiqués ».
Sur ce long chemin de la formation analytique que j’emprunte à peine, la retenue du jargon pour un discours au plus près de l’expérience singulière de Walser m’a été à la fois précieuse et
enseignante. Je suis toujours émerveillé par cette force qu’a la psychanalyse de révéler l’essence même d’une vie. Dans ce sens, votre intervention était, selon moi, éminemment analytique. Si
vous avez rappelé le texte de Miller sur la clinique ironique, vous avez, pour l’expérience que j’en ai, démontré combien elle est tout aussi poétique. Du malentendu à l’exil, de l’éveil à la
promenade ironique, la vie, avec la psychanalyse, à s’envisager dans l’après-coup, gagne à coup sûr une ampleur poétique. Dans un monde de plus en plus désincarné et aseptisé, elle n’en ressort
que plus indispensable encore. A ce titre, vos ponctuations, jamais méchantes, mais fines et factuelles, sur cette nouvelle forme de cabale lancée contre la psychanalyse dans le « traitement » de
l’autisme, rendaient votre intervention d’autant plus moderne (au sens que lui donnait Rimbaud?) qu’elle en faisait cas dans un fondamental respect.
De cette dernière remarque, je terminerai en vous disant, qu’enseignant, même pédagogue, participant aux travaux du CIEN de Bruxelles cependant, j’ai fait l’expérience en vous écoutant de
l’importance de ce que resserre Pennac sous l’expression « présent d’incarnation ». Il faut que ça s’incarne, dit-il à peu près dans son Chagrin d’école. Ça s’est incarné samedi. Aussi étiez-vous
debout. Futile me direz-vous, mais ça compte dès lors que ça a «conté» d’une histoire dont vous sembliez habité. Toutes les pédagogies ne pourront remplacer ce point de perspective que peut
incarner celui qui veut être enseignant, ce « point d’où » que vous rappelez dans l’Éveil et l’Exil et dans le Malentendu.
Voilà, trop rapidement sans doute, déplié un « pousse-à-la-psychanalyse-poétique » sur lequel vous avez mis le doigt.
Au plaisir de vous écouter à nouveau, oserais-je dire dans la conférence que j’organise ce 16 mai pour des (futurs) instituteurs sous le thème d’ « Amours d’enseignant »? C’est fait.
Je suis sûr que les neiges walseriennes n’auront que plus de sonorité sous les paysages corses où je vous souhaite de vous promener. Tout un poème.