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4 mars 2012 7 04 /03 /mars /2012 21:15

Nous avons valsé avec Robert Walser

 

Hier, samedi 3 mars, Philippe Lacadée s’est fait pour nous à Charleroi le passeur de Robert Walser. Il nous a fait passer le désir d’en savoir plus sur cet auteur méconnu, inventeur d’une écriture et d’un style tout à fait particulier (les microgrammes). Walser, né en Suisse au 19ème siècle et 6ème enfant d’une fratrie de huit, a commencé par écrire des romans. Cette écriture-symptôme a sustenté son corps en l’appareillant à la plume jusqu’à sa première crise, celle qui l’a appelé la crise de la main. Ce qui le faisait tenir jusque là était le rapport à son double, son frère Carl, l’aquarelliste. Ce double imaginaire habille le vide que Walser appelle aussi un ravissant zéro tout rond qu’il aspire à incarner. Mais son frère lui apprend qu’il va se marier et Robert se retrouve sans image du corps. Il se disloque, a le sentiment que la plume s’autonomise, qu’elle écrit des choses de son propre vouloir, que son être se répand comme l’encre sur la feuille. Sa main est en panne, il ne peut plus écrire. Il sortira de cette crise en inventant le territoire du crayon, écriture-sinthomatique qui va lui permettre de tenir encore dans le monde un certain temps mais qui est déjà dans un champ hors du lien social. Il n’écrit plus qu’au crayon et en lettres très minuscules sur des supports improbables, comme des factures d’électricité par exemple. Il n’intitule plus ses écrits mais les numérote. Son dernier roman «Le brigand» a été reconstitué par des spécialistes à partir de plusieurs dizaines de microgrammes. Il vit seul, dans une position éminemment ironique, se faisant le commis de l’autre, la servante, ce qui le fait «gaminer». Vous entendez là bien sûr ce qui le fait jouir. Paradoxalement la position de servante qu’aime à occuper Walser n’est pas dut tout une position de soumission à l’Autre, bien au contraire c’est une position fondamentalement ironique et qui prend le pouvoir sur l’Autre. C’est une position de liberté, d’un sujet qui ne consent pas à perdre quelque chose de lalangue pour s’intégrer dans la langue universelle.  Walser s’entend lui-même, il entend tous les bruits autour de lui comme des choses qui lui parlent,  ainsi que ses propos il entend aussi les bruits. Il y a de l’écrit dans la parole et pour Robert Walser, c’est constamment dans sa vie que cela parle.

Finalement de plus en plus isolé, ne payant plus ses factures, répondant des choses les plus étranges à sa logeuse parce que ne répondant pas dans le champ du sens mais celui du bruit des mots, Walser sera interné dans un asile où il se sentira mieux, à l’abri du monde qui lui demande trop. Là il se mettra à la promenade dans la neige, c’est son corps même qui deviendra ainsi l’outil de l’écriture sur la feuille blanche. Il réalisera ainsi ce que lui-même avait annoncé des années plus tard, on le retrouve mort dans la neige, tache noire sur fond blanc.

 

Philippe Lacadée nous a offert grâce à son travail et son enthousiasme une après-midi riche d’enseignements sur ce qu’est la structure de la schizophrénie et ce que peut être pour un sujet le choix d’une position résolument autistique. Il nous a aussi fait découvrir les inventions de Robert Walser et son style incomparable. Robert Walser grâce à ses écrits nous parle de l’impossible qu’il rencontre avec l’Autre du langage. Là encore l’artiste précède le psychanalyste en témoignant d’un rapport tout à fait particulier à la langue bien avant que Jacques Lacan ne le théorise avec la lalangue.

 

Katty Langelez

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